Monolithe

Concours – L’ascension de Sisyphe
Lauréat en binôme avec Jocelyn Hamet
Comment ne pas réduire un projet à sa dimension esthétique, au beau ou au laid ? Nous pensons qu’un projet peut nous émouvoir par la façon dont il est conçu, par la perception du travail artisanal et par la force du matériau, plus que par son aspect formel.
Concours : imaginer un équipement éphémère en bois au service des randonneurs. Toutes les pièces sont préfabriquées en atelier par les lauréats, puis montées à dos d’homme de la vallée au site de chantier.
Site : le projet prend place au sommet d’une randonnée escarpée, dans la commune ariégeoise de Rabat-les-trois-seigneurs. La parcelle s’ouvre sur un paysage panoramique somptueux.


La question de l'effort
En parcourant le village de Rabat-les-trois-seigneurs, nous avons été particulièrement marqués par la présence de la pierre, et en particulier par sa capacité à transmettre émotionnellement les efforts qui ont été fournis, siècle après siècle, pour créer une commune entière. Aujourd’hui, quand on parle d’architecture, on débat trop souvent autour de l’esthétique : est-ce beau ou laid ? Mais on oublie l’effort de la construction, balayé par la standardisation et l’industrialisation. La machine a remplacé la main, emportant avec elle l’amour donné par l’artisan à la pièce qu’il confectionne.
Alors comment pourrait-on, lorsqu’on voit les efforts faits pour créer ce village, se permettre de concevoir un projet avec des éléments standardisés ? Nous le refusons. Alors évidemment, notre projet ne sera pas en pierre, mais en bois. Cela importe peu. Notre projet, aussi petit qu’il soit, cherche à redonner du sens au travail artisanal, à faire revivre l’émotion procurée par le travail du matériau. Ainsi, notre projet assume les irrégularités du matériau et les imperfections de la fabrication manuelle.

Mais à quoi sert cette structure ?
À rien. Ou presque. Elle est dans sa fonction un simple banc, permettant aux randonneurs de s’asseoir et de se détendre face au paysage après une montée éreintante. On peut imaginer y faire une sieste, manger son pique-nique, contempler les nuages, ou encore laisser jouer ses enfants dans cette sorte de cabane mystérieuse.

Le défi du matériau
Comment respecter le matériau qu’est le bois ? Nous nous sommes fixés un défi : concevoir notre projet à partir d’une grume (un tronc) de hêtre et réaliser l’intégralité de nos découpes à l’intérieur de celle-ci afin de valoriser l’intégralité du bois et éviter les chutes. Les parties externes du tronc (l’écorce, le liber, le cambium et l’aubier) viennent former l’enveloppe, tandis que les couches internes de la grume (le duramen) sont les plus résistantes et forment l’ossature et le plancher.
Cette réponse structurelle se traduit par une réponse visuelle : sur la partie externe, la structure montre l’écorce, fait le dos rond et tente de se camoufler dans la foret tandis qu’en son cœur, il accueille chaleureusement, à bras ouvert en montrant son bois doux et lisse.



Acheminement et assemblage
Ce concours pose trois défis techniques majeurs : la préfabrication, l’acheminement des pièces sur site et l’assemblage. Pour cela, le projet utilise peu de pièces, environ 80. La forme en « tipi » n’est d’ailleurs pas un hasard : les tipis, à l’instar des tchoums en Sibérie, sont des habitats nomades utilisés dans des zones dans lesquelles les ressources en bois sont rares. L’économie de matière et le transport de la structure sont aussi nos défis.
Enfin, la construction repose sur des assemblages simples (rotation, calage, emboitement) et récurrents afin de simplifier le chantier. Toutefois, ces assemblages doivent prendre en compte l’irrégularité de l’écorce.



Deux pièces singulières
Enfin, en plein cœur de la structure, deux pièces se distinguent des autres par leur unicité : la couronne haute et la pierre centrale. La première instaure un dialogue avec la canopée et le ciel, tout en étant le point de convergence de l’ensemble des montants verticaux. La seconde est une pierre de Grand Antique, un marbre ariégeois, qui ancre le projet dans son territoire minéral, du village de Rabat-les-trois-seigneurs à la falaise qui sous plombe le rocher en passant par les vestiges d’un château cathare à quelques centaines de mètres. Cette dernière pièce est à la convergence des planchers et instaure un rapport au sol. Je tiens à remercier les artisans de la marbrerie Debezy pour leur générosité et leur aide précieuse dans la réalisation de cette pièce complexe.
